Cétait pas mal non plus avant.
Sans doute, mais la fête risque d'être de courte durée: 100 jours maximum. Et puis, ce conflit pêchait déjà par abus de modernité, celle qui bombarde par l'image plus que par l'obus.
A vrai dire toutes ces réminiscences historiques ne sont pas seulement affligeantes, elles sont aussi inquiétantes. L'amnésie est une maladie bénigne à côté de l'hypermnésie qui nous accable. L'excès de souvenirs, la pléthore d'images stockées, tout cela pourrait bien saturer nos mémoires comme celles d'un ordinateur. En fait, nous n'aurons bientôt plus de place disponible pour installer un nouveau programme et jouer un tant soit peu une petite partie d'histoire nouvelle. En ce sens, Fukyama avait vu juste; nous assistons bien la fin de l'Histoire, non parce qu'elle est aboutie mais par la force de son inertie. Il faut se faire à cette raison: trop d'Histoire tue l'Histoire.
Il paraît qu'à l'heure fatidique, les mourants revoient toute leur vie en image. Et s'il en était de même pour les civilisations? Les symptômes sont là, dans une étrange ressemblance. Peut-être que dans cinquante ans, nous commémorerons cet anniversaire mémorable, celui du commencement de la fin. La fin des événements, les derniers jours de l'Histoire, nous pourrons sûrement les revivre en 3D du fond de notre fauteuil de verre et dans la plénitude du son Nicam. Libérés de toute participation à l'Histoire pour cause de sa simulation parfaite.
Li Monde, août 1994
A défaut de vivre (ou de survivre), il semble bien que nous soyons condamnés à revivre éternellement. Pauvres de nous! Triste sort que celui des mutants médiatisés frappés d'un châtiment quasi sisyphéen. Sans cesse, il nous faut repasser les bobines de l'histoire et commémorer des heures de galère ou de gloire qui appartiennent définitivement au passé. Ce qui avait commencer avec le bicentenaire de la révolution se poursuit inexorablement, jour après jours, au hasard d'un débarquement, d'un enterrement, d'un alunissage, enfin d'un quelconque événement défunt qui nous rappelle qu'autrefois l'humanité n'était pas plantée devant son petit écran.
Dans la série des grands revivals de l'histoire, le pompon va sans doute à l'émission "Jours de guerre" qui trépasse chaque dernier mardi du mois. 4 ans d'émissions en souvenir des 4 ans de conflit, c'est long. On se console en se disant que, par chance, on ne disposait d'aucune caméra lors de la guerre de Cent ans.
Mais enfin, la guerre et l'émission touchent à leur terme. Nous en seront bientôt libérés. Nous avons revécu "les jours de libérations", chef d'oeuvre de simulation où les flash d'information se conjuguaient au présent, laissant croire à d'anciens combattants que les Fritz étaient de retour.
Que fera-t-on en 1995 après la commémoration d'Hiroshima et de Nagasaki? Se jettera-t-on sur le quatrième anniversaire de la guerre du Golfe?