Alors, amusons-nous un peu avec ce sujet sérieux qui soulève plus de questions qu'il n'apporte de réponses.
D'abord, ne faut-il pas être cohérent avec l'idée qu'on défend. Par exemple en matière d'automobile dans notre pays, une politique d'achat local ne laisse le choix qu'entre une Ford, une Chrysler, une Volvo et une Audi dont les modèles sont construits à proximité dans des usines belges. Donc, on oublie les françaises, les italiennes, les japonaises et les anglaises. Pour ces dernières de toute façon, Brexit oblige, on les boycotte.
On pensera choisir une marque pour sa technique ou sa fiabilité? C'était peut-être vrai hier. Aujourd'hui, les constructeurs ont des plate-formes communes. Renault équipe le japonais Nissan et fournit des pièces à l'allemand Mercedes quand ce n'est pas l'inverse. Pour les petits modèles Opel, Fiat et Ford ont reçu le même moteur diesel développé par un consortium européen. Les marques sont devenues des usines d'assemblage qui ont quasiment toutes les mêmes équipementiers.
Quant à la fiabilité des voitures, en dépit des études et des statistiques, on se rappellera que certaines marques sont achetées sur base de réalités dépassées par des vieux fossiles, conduisant pépères et soucieux de leur véhicules tandis que d'autres le sont par de jeunes imbéciles, roulant tombeau ouvert sans crainte du ridicule. Cela fait une grande différence en matière statistique de fiabilité et de durée de vie. Et ne faisons pas l'autruche dans le bac à sable, puisqu'on on a tous étés des jeunes blancs becs puis des vieux grisons, comme disait tonton Georges.
Dans un autre registre, une question équitable se pose: pourquoi imposer à nos fruits et légumes, ce que nous n'exigeons pas de nous-mêmes? C'est vrai. Quand il s'agit de s'offrir des vacances, on se permet tous les éloignements qu'on souhaite. On part se détendre au diable Vauvert sans se préoccuper de quoi que ce soit. On me dira qu'il n'y a pas moyen de faire autrement. Mais si bien sûr, d'ailleurs un jours, cela viendra par force et nécessité, comme la circulation alternée à Paris, Tokyo et Pékin les jours de smog, ou les dimanches d'interdiction pure et simple de 1973. (1)
Et puis, Si nous décidons de consommer locale, c'en est fini des oranges, ananas, bananes, kumquats, et autres plaisirs exotiques du palais.
Question subsidiaire: comment fait-on pour s'équiper d'un GSM ou d'un ordinateur en mode local?
Réponse 1: on le chipe à son voisin.
Réponse 2: c'est impossible et il faut réintroduire des usines de production chez nous. Si on choisi cette formule, soit les salaires seront diminués de moitié, soit l'objet produit sera deux à trois fois plus cher et ne sera plus accessible qu'à une frange des consommateurs. C'est un choix mais il n'est pas très démocratique et qui l'acceptera? Ce qui signifie que dans ce cas comme dans d'autres, nous profitons sans souci et sans sourciller d'une production distante. Et, sur l'ensemble de notre consommation, en regardant la provenance de nos produits, il faut bien reconnaître que nous achetons mondial et que nous jetons local.
Et puis, il conviendrait peut-être de se souvenir d'une époque où les échanges lointains nous ont permis d'améliorer notre mode de vie. Grâce aux charbonnages, aux aciéries et au commerce planétaire la Belgique fut, la deuxième puissance économique mondiale entre 1810 et 1880, à l'époque où, déjà pareils à eux-mêmes, les wallons engageaient des flamands pour travailler. Que nous serions aujourd'hui si nous n'avions pu exporter au-delà du Benelux et si les nations d'outre-mer avaient dit: "ho ho manneke, tu es un peu trop loin."
Ce que nous avons connu vaut pour toutes les populations du monde. Actuellement, l'Espagne et d'autres pays ensoleillés développent leur économie par la production et l'exportation de fruits et de légumes. Le climat est pour eux, ce que les filons de charbons étaient pour nous. L'Asie fait de même avec ses industries. De notre côté, nous exportons urbi et orbi notre chocolat, nos bières, nos médicaments sans oublier la fuite de nos cerveaux. D'où la question: peut-on refuser aux autres ce que nous avons fait et faisons nous-mêmes? Il semble que chacun ait le droit d'atteindre un niveau de vie décent et qu'il serait injuste d'entraver cette aspiration légitime.
Il y aurait encore un débat sur le bien fondé des mesures prises par les états qui veulent favoriser le commerce local et intérieur par l'introduction de taxes à l'importation. Est-ce bien équitable? Et n'y a-t-il pas là une forme de repli sur soi territorial voire identitaire?
Enfin, la question finale qui n'a peut-être pas de réponse: "après tout, le monde est-il un village oui ou non?"
(1) Pour info, la restriction de circuler certains jours n'est pas neuve. L'empire romain avec ses chars connaissait déjà de graves problèmes dans les villes. En 45 av J.-C., Jules César a déclaré le centre de Rome fermé de 6 à 16 heures pour tous les véhicules excepté ceux transportant des prêtres, des fonctionnaires, des visiteurs ou des citoyens de haut rang.