BELGIQUE. Comme un grand film, octobre fut beau et triste. Beau par son ciel azuré et sensiblement moutonneux. Triste par l'absence remarquée de son meilleur acteur: le champignon.
Rien, pas l'ombre d'un chapeau, pas la moindre trace de pied. Et c'est bien dommage car le champignon est à l'automne ce que la guigne est au temps des cerises ou l'œuf à Pâques: un nain contournable.
Mais par manque d'eau et de pot, il nous faudra patienter un an, c'est long, pour espérer revoir cet être cher, indispensable à la vie et la bonne chère. Seuls, quelques veinards auront peut-être le privilège de contempler des champignons en ce mois d'octobre s'ils ont la chance de souffrir d'une mycose bien visible. Pour une fois que le malheur des uns fait aussi le bonheur des mêmes, il convenait de le signaler.
Mycologues et mycophages, vous les amateurs d'humus, vous les arpenteurs de terres rares, vous les truffiers chasseurs, connaisseurs des lieux secrets et bien gardés, vous savez ce qu'il en est. Ah, ces champignons! Malheureusement, en ce jour, on ne peut qu'évoquer les absents. Alors, allons-y.
Les coprins d'abord, bien évidemment, qu'ils soient noirs d'encre ou chevelus. Le sparasis crépu et la calvatie en coupe pour rester dans les espèces capillaires. La vesse de loup qui pète à maturité en dégageant une fumée noire. Le sordide satyre puant plus savamment appelé le phallus impudicus que nous connaissons tous. L'inévitable cèpe de Bordeaux qui va bientôt se présenter aux élections françaises. La célèbre morille chantée par tonton Georges. La fameuse couillemolle, heu coulemelle que les puristes nomment lépiote élevée. La pholiote changeante que l'on surnomme la manie bipolaire et dont les premières apparitions remontent au 16ème siècle sous François premier qui lui consacra un vitrail à Chambord avec cette sentence: "souvent pholiote varie, bien fol qui s'y fie".
Le cortinaire trivial, tellement qu'on ne s'y arrêtera pas. Le clitocybe du bord des routes, à ne pas confondre avec le tapin des trottoirs. Le marasme des Oréades reconnaissable à son air affligé. Le pied de mouton moins charnu que le gigot mais néanmoins excellent comestible. Le gyromitre avec son chapeau d'évêque tournant. La russule intègre, en tout cas beaucoup plus que la poutine de Moscou. La stérée hirsute copine du bolet rude, tous deux passablement éméchés et revêches. La fausse girolle comme la blonde du même genre. La chanterelle en tube qui vient de sortir un CD. Le lactaire délicieux bien que ce ne soit pas ma tasse de thé. Le pied bleu, sans doute un lointain cousin du pied noir mais qui ne se marie pas avec le couscous et les loukoums. L'hygrophore pudibond sans lien de parenté avec le puisatier timide. Le mycène pure qui ne s'investit que dans les bonnes œuvres. L'amanite rougissante surtout quand elle a fait une bêtise. Le polypore en touffe qui n'à rien à voir avec un troupeau de cochons. Sans oublier l'adorable truffe toujours sympathique. Et enfin l'inocybe de patouillard dont rien que le nom prête à rire mais qui n'est pas un innocent pantouflard et qu'on ne prendra pas, ou alors avec le plus grand sérieux, pour éviter de passer la lame à gauche.
On le voit, il n'y a là que du beau monde et il nous manque vraiment car ce n'est pas avec des mots, même si certains les mangent un peu, qu'on se mettra un un chapeau ou un petit pied sous la dent. La poêle est vide et l'omelette désespérément nature. Vivement l'automne prochain.