NDLR. Il peut sembler surprenant de ranger un article de 1992 dans une rubrique intitulée "la bombe du mois" en 2016. Pourtant, on s'apercevra que le sujet dans son introduction avec la problématique des médecins et numerus clausus, reste d'une surprenante actualité malgré ses 24 ans d'âge.
Le raisonnement qui découle par la suite mérite également qu'on s'y arrête. Parce que, si ce raisonnement était possible autrefois et qu'on le rencontrait chez l'un ou l'autre philosophe éclairé voire allumé, il semble bien qu'aujourd'hui, nous ayons perdu les accents de la post-modernité et de l'innovation. C'est à ce titre que cet article est aussi renversant.
C'était pas mal du tout avant.
J'avoue que cette façon d'envisager les choses me plaît beaucoup. Avant la publication de ce rapport, je n'aurais pas osé le claironner sur tous les toits mais avec l'aval du gouvernement je retire ma sourdine. Car cette nouvelle approche des phénomènes est d'une étonnante modernité puisqu'elle nous montre que les concepts ont bien changé depuis Hippocrate. Elle prouve aussi que nous avons franchi un seuil de réversibilité typique à partir duquel tout se renverse et doit être lu à l'envers; ce n'est plus la médication qui fait vivre le malade mais le malade qui fait vivre l'industrie pharmaceutique (tout l'art de la pub médicale étant de vous convaincre que vous n'êtes pas en bonne santé.)
Enfin, voici résolu, une fois pour toute, l'épineux contentieux de l'offre et de la demande ainsi que l'éternel question des besoins économiques. Il n'y a plus ni besoins ni demande, il ne reste que l'offre qui les déterminent tous les deux.
Preuve ultime: cet article ne faisait l'objet d'aucune demande de votre part. Mais comme je vous l'offrais, vous l'avez lu. Et c'est ainsi que tout le monde se fait rouler.
Li Monde, octobre 1992
Faisant suite aux difficultés budgétaires de la sécurité sociale évoquées dans Li Monde du mois de juin (1992), le gouvernement publiait ce 6 octobre un rapport officiel de la plus haute importance. Ce rapport qui visait à limiter les dépenses de santé par l'instauration d'un numerus clausus pour les médecins, stipulait que: "l'augmentation du nombre des médecins provoquait une demande croissante des soins de santé". La déduction était simple tout autant qu'évidente: "il faut limiter le nombre des médecins pour limiter la demande".
Ce rapport marque, sans doute, une première dans l'histoire de l'austérité mais il procède aussi d'une réflexion profonde dont nous ne mesurons pas encore toute la portée future. Car il signifie, sans le dire, que plus il y a de médecins, plus il y a de malades. Si cela s'avère exacte, et on a des raisons de le penser, les corollaires qui en découlent sont aussi nombreux qu'intéressants. Le premier qui vient à l'esprit est celui-ci: plus il y a de médicaments, plus il y a de maladies. On imagine la suite dont je vous livre un aperçu en vrac: plus il y a d'organisations humanitaires, plus il y a de calamités. Plus il y a de flics, plus il y a de délits. Plus il y a d'alarmes, plus il y a de vols. Plus il y a d'éléments de sécurités, plus il y a d'accidents. Etc...