C'était pas mal non plus avant.
il s’agit de trouver un nom de marque ou de produit. Le gars qui a planché sur "Pampers" a du en baver pendant des semaines. Cependant, malgré l’affreuse consonance de ce mot qui signifie "dorlote" en français, ce produit connait toujours un franche réussite. D’où la question qui vient naturellement à l’esprit: "un prénom original et bien étudié peut-il assurer le succès d’un bébé?" La réponse est "oui" si on apparente le nouveau-né à une couche culotte ou à un nouveau produit. Ne rions pas, car c’est une tendance qui se dessine dans le commerce de la procréation en éprouvette et dans le grand marché des mères porteuses ainsi que dans le trafic lié aux greffes d’organes. La chosification de l’individu assimilé à une mécanique se développe en parallèle à l’humanisation des machines frappées d’intelligence et de convivialité artificielles.
Ainsi, dans l’avenir et grâce au progrès des sciences, il n’est pas impossible qu’on assiste au lancement d’un nouveau bébé. Lequel offrira inévitablement tous les avantages modernes à savoir qu’il sera plus confortable, moins polluant, et probablement recyclable; merveilles de l’eugénisme qui nous projette, in vivo, aux portes du "Meilleur des mondes" d’Aldous Huxley.
Aldous! voilà bien un prénom insensé. Et pourtant, voilà bien un bonhomme de génie qui incarne l’antithèse de tout ce qui vient d’être dit, la preuve par l’homme que le prénom n’est rien. Heureusement. Et tant mieux pour notre nouveau copain Gaspard qui disposera encore d’une petite marge de manoeuvre.
Alors, bienvenue au susnommé du troisième décan des Poissons, atterri parmi nous le 12 mars 1993. Enfin, toutes nos félicitations aux parents qui ont eu le bon goût de ne pas le prénommé Heptoilàbasouitoi.
Li Monde avril 1993
C'eut pu être Jules, Marcel, François, Pierre, Paul ou un autre. Mais non! c’est Gaspard.
L’accouchement du prénom fut long et doulou- reux au point que si le bébé gestationnait encore aujourd’hui on ne l’eut toujours point prénommé. Heureusement, d’ailleurs, qu’on vient au monde dans l’indifférence totale de sa propre appellation et qu’en pointant le bout de son nez rose on force un peu la main aux malheureux parents plongés depuis des mois dans une innommable hésitation. Imaginez que l’on doive attendre le choix bien arrêté d’un prénom ferme et définitif, il y a fort à parier qu’on ne verrait plus jamais le jour. Alors qu’en naissant, on rend un immense service à papa et maman en les délivrant d’un énorme souci.
Un souci qui, je l’avoue, me turlupine un peu. Moi qui n’ai jamais accouché de rien et dont le prénom d’une banalité sans nom ressemble à celui du commun des mortels, je me dis que, jadis, nos vieux ne se fendaient pas le bocal pour mettre quelques lettres sur une petite tête blonde. Dans mon cas, ils sont allés au plus court: au moyen de trois lettres pouvant être lue dans les deux sens en offrant des significations dif- férentes, ils m’ont préservé de l’exécrable palindrome et m’ont donné une prédilection naturelle pour les systèmes réversibles, les amphibologies et les phénomènes équivoques. Je les en remercie.
Tout ceci démontre, bien sûr, l’importance du prénom pour la vie du susnommé. Plus que les astres et les planètes, plus que les signes zodiacaux, le mot dont on vous affuble, vous détermine pour l’éternité et jusqu’à la mort. C’est là que réside, sans doute, la préoccupation très contemporaine pour l’attribution d’un nom de baptême.
Curieusement, on rencontre le même tourment dans le chef des stratèges en marketing quand ....