Nous avons tous fait cette expérience. Lorsqu'une voix de radio nous est familière on lui prête souvent un visage et nous sommes parfois très surpris de découvrir la tête qu'elle a en réalité.
Il est plus rare qu'on imagine la figure qui se cache derrière le texte d'un écrivain connu ou d'un quelconque petit scribouilleur. Faisant partie de la seconde engeance, je dévoile ici une première: la tête de l'ours. L'ours étant dans le jargon journalistique, le petit pavé qui recense le nom des collaborateurs ayant participé à l'édition. Et comme je suis le seul collaborateur, il n'y a qu'une photo.
S'il y a bien une marotte qui s'est emparée de l'époque, c'est l'apocope. Cette pseudo figure de style qui se caractérise par l'abréviation du mot complet, en gardant uniquement le ou les premiers phonèmes ou syllabes. Exemple: le Boul' Mich', pour le Boulevard Saint-Michel.
C'est un peu comme s'il y avait une fatigue à prononcer toutes les syllabes d'un mot, une sorte de fainéantise du langage.
Il en va de même pour les prénoms qui sont souvent réduits à leur plus simple expres- sion; c'est le cas de Steph pour Stéphane, Mic pour Michaël, JP pour Jean-Paul, etc...
On se demande jusqu'où ira cette manie de l'élision et s'il existe un seuil minimaliste à cette obsession castratrice. Serait-il possible que demain, Stéphane devienne St ?
Nous savons par ailleurs que les français sont les champions du monde de l'acronyme. Exemple: CRS pour Compagnie Républicaine de Sécurité.
Si les deux phénomènes se rencontrent, si l'apocopie et l'acronymie se conjuguent un jour, je n'ose pas imaginer ce que deviendra notre belle langue française avec ses beaux discours et ses beaux livres.
Sans être un nostalgique des époques ronflantes où l'on aimait à se faire appeler François-Xavier-Alexandre, et sans être un adepte de l'anthroponymie ou un partisan de orthodoxie lexicologique, j'ai bien le droit de m'inquiéter, non?
NDLR. Cet article est à l'image de son sujet: un peu court.
En général, on est pas très favorables aux graffitis. Ils sont souvent moches, répétitifs, franchement agressifs dans la dégradation de l'environnement, imbuvables de par leurs couleurs et rarement on y décèle une ébauche de comportement artistique.
Mais tout arrive et parfois, on se retrouve devant une réalisation acceptable où l'on sent poindre du talent derrière le spray de couleur. La chose est suffisamment rare pour que, lorsqu'elle se produit, on ne rate pas l'occasion de la mettre en évidence. Voici donc deux graffitis anonymes découverts sous un pont de Bousval discret, à l'abri des regards.
Antoine Repessé Photographe
Ouf! Ça fait du bien de voir qu'on n'est pas le seul à prêcher dans le désert et à se battre contre des moulins. Ça fait chaud au cœur. Merci Antoine.
Je finissais par m'inquiéter avec ces remar- ques négatives concernant ma négativité scriptuaire. Je craignais que la Matrix soit à l'œuvre et que mes semblables soient déjà sous sa coupe. Je me demandais si j'étais encore dans le monde réel et s'il était encore possible de dire quelque chose sans passer pour un nihiliste, un pessimiste, un anarchiste, que sais-je encore. Comme s'il était devenu impossible d'élever la voix, de critiquer ce qui ne va pas, de se promener à côté des chemins rebattus. J'ai eu peur d'être dans une époque où il est impératif de marcher au pas, de se compromettre dans les compromis et les compromissions et où le simple fait de penser autrement que ce qu'il convient de penser apparaît comme suspect. Bref, je croyais être revenu au temps de l'inquisition, du goulag ou encore projeté dans un film de science-fiction épouvantable.
Mais non! Antoine Repessé le photographe est arrivé et pour moi, il va repasser souvent. Li Monde lui a réservé une place de choix sans ce numéro. Ses clichés qui n'en sont pas du tout sont à voir sans modération.
On constatera que lui aussi, il ne propose rien d'autre que son travail, aucune alternative à la situation qu'il dénonce. Il ne fait que mettre au regard de tous ce qu'on est pas très disposé à voir. Bravo! Je n'en demande pas plus. Ça laisse à chacun la liberté d'agir, de réagir ou ne ne rien faire. il est de la trempe de ces lanceurs d'alerte ou citoyens vigilants ces Frachon, Gibaud et Forissier dénonçant les malversations des organismes financiers ou autres qui les employaient. Oui, à l'imparfait, parce que la langue française a parfois de curieux synonymes et dans ce cas-ci, dire la vérité signifie être viré.
Les photos d'Antoine sur notre mode de vie consommatoire sont superbes de silence et d'éloquence. Juste un petit bémol: ses déchets sont trop propres, trop nettoyés, trop léchés, trop frais, pas assez vrais. Mais je comprends le photographe esthète et qui ne veut pas non plus travailler des heures dans une atmosphère pestilentielle.