COURT-SAINT-ETIENNE. Je cheminais sur la petite rue du Pont de Pierres quand je vis deux oiseaux immobiles sur le trottoir. Je m'approche. Il y avait une merlette et un merle. Le mâle était mort, les pattes en l'air, et sa compagne était juste à côté de lui, frappée par je ne sais quelle stupeur. Je me suis encore avancé. J'ai pensé la prendre dans mes mains pour la réconforter un peu. J'aurais pu, car elle était à trente centimètres à peine. Mais je me me suis ravisé, ne voulant pas ajouter à sa peur.
Je les ai regardé attentivement et puis je me suis dit qu'il fallait immortaliser la scène. C'est bête, c'est ce que tout le monde fait aujourd'hui. En plus, l'idée de jouer au paparazzi dans ces circonstances de me convenait pas du tout. Mais il faut parfois abandonné ses petites idées pour rendre compte de la réalité.
Comme d'habitude, je n'avais pas emporté mon portable, donc pas de photo.
Depuis combien de temps étaient-ils ainsi? Je l'ignorais mais j'avais l'impression qu'il y avait déjà un bon moment. Selon mon médecin légiste, l'accident, car il s'agissait certainement de cela, la cause du décès remontait à une bonne demi-heure voire une heure.
Que pouvais-je faire? Finalement je suis allé chercher une boîte à image. De retour vingt minutes plus tard, les deux oiseaux n'avaient pas bougé d'une plume. Bien sûr, pour l'un des deux c'eut été difficile mais la femelle aurait du s'enfuir, effrayée par les voitures qui passaient à côté. Pourtant, elle était toujours là, figée et semblant implorer: "Mon Dieu, mon Dieu, laissez-le moi encore un peu."
Est-ce parce que le merle est un merveilleux chanteur que quelques chansons me sont revenues en tête? Avec elles, des paroles de circonstances: "c'est dur de mourir au printemps". Il avait raison le grand Jacques. Je constatais que finir à cette époque avait quelque chose de réellement triste et révoltant. Au delà de la saison, c'était aussi le printemps de ces deux tourtereaux qui s'envolait. Encore des rêves brisés...
Je me suis demandé ce que je pouvais faire pour cette jeune veuve éplorée. Je suis resté interrogatif quelques instants et puis, sans solution, je suis rentré chez moi.
Par souci de conscience, je suis repassé quelques heures plus tard, en soirée. La femelle avait déserté les lieux. Notez-bien, je la comprends. Même pour une merlette et passé une certaine heure, il est tout à fait incongru de faire le pied de grue sur le trottoir. Elle était sans doute rentrée faire son deuil au nid, toute seule. Oui, seule, car à cette époque de l'année les petits n'ont pas encore pointé le bout de leur bec. Si ça se trouve, ils sont déjà dans l'œuf de leur maman. Et si ça tombe, mais pas à côté du nid, ils naîtront orphelins dans ce foutu monde de brutes... je n'aime pas les voitures, je n'aime pas les blessures.
Que jamais plus des marabouts de malheur ne viennent me dire que plumes et poils sont dépourvus de sentiment, d'émotion ou d'imagination. Qui sont-ils, ceux-là qui oublient qu'ils font aussi partie de la faune, qu'il ont été de grands singes primates autrefois et que pour certains, c'est toujours le cas. Qui sont-ils et d'où sortent-ils l'idée que seul l'Homme avec une grande Hache, la bête humaine est douée de sensibilité? Je vous le demande. Moi, j'ai vu des larmes dans les yeux de mon oiselle, ma petite chanteuse des rues. Ma Piaf d'un jour.
Bordel,
"J'ai beau me dire que rien n'est éternel
J' peux pas trouver ça tout naturel
Et jamais je ne parviens
A prendre la mort comme elle vient." (1)
Dieu sait que je n'ai pas le fond méchant, alors le lendemain,
Retournant sur les lieux, j'ai pris mon courage et la dépouille et à deux mains
Avec l'intention d'offrir une sépulture
A la défunte créature.
C'est ainsi que je suis devenu un pauvre fossoyeur, l'âme en berne et le cœur en pleurs, par une froide après-midi de printemps et un vent d'Est modéré.
(1) Avec l'aimable autorisation supposée et posthume de tonton Georges.