sont aussi nombreux que les produits chimiques et où la consommation croissante de médicaments de conforts révèle une pathologie profonde. Le langage mielleux d'aujourd'hui est à l'image de l'analgésique. C'est une pillule amère enrobée de sucre, un calmant qui occulte le mal sans le guérir et qui finit par déclencher des allergies.
Que l’on ait décidé d’appeler un chat, "un félidé domestique", cela n’est pas bien grave et ça ne prête qu’à rire. Mais les choses tournent à l’aigre lorsque des gens sont concernés. Ainsi, si l’on qualifie notre cher petit Lutin de “personne verticalement défavorisée”, ou son vinaigre de cerises de “nectar à noyaux”, chacun pressentira comme un malaise dans cette formulation imbuvable.
Il n’en va pas autrement des tout nouveaux “èsdéhèfes” (SDF) qui ont avantageusement remplacé les crèves-misères. C’est beaucoup plus joli et surtout, ça ne dit plus rien. Encore une ignominie de la synonymie. C’est pareil avec les procédés “light” de dégraissements et autres restructurations d’entreprises. Dans ce cas, les directions ne mettent plus personne au chômage. Il n’y a même plus de responsables, seulement de vagues dirigeants ou mieux, des acteurs économiques. C’est beau comme le théâtre.
Que voulez-vous qu’il résulte de toutes ces appellations bien contrôlées, sinon une superbe supercherie? Quand on pense que la juteuse “gestion de ressources humaines” n’indigne plus personne alors que sa version original, "l’exploitation de l’homme", déchaînait les frictions. Heureusement, il y a les Droits de l’Homme et la liste de ces faussaires est immensément inquiétante.
Enfin, on se demande si une langue qui évolue de la sorte n’est pas le signe d’un monde qui involue de force, et si, pour inverser la vapeur des choses, il ne faudra pas retrouver la verdeur des mots.
Li Monde février 1994
C'était pas mal non plus avant.
“Ce n’est que jeu de mots, affectation pure,
et ce n’est point ainsi que parle la nature.”
Molière. Le misanthrope.
Oui, cet épigraphe est tiré du Misanthrope de Molière. Mais comme disait l’autre, celui qui n’est pas misanthrope à 40 ans n’a jamais aimé les gens. C’est pourquoi, je n’aime plus Molière.
Cependant, j’admets que ce monsieur soit un homme de génie, un poète immortel. Je reconnais son prestige... et son franc-parler. Lui, il ne machait pas ses mots et c’est la raison pour laquelle il peut toujours servir. On ne saurait en dire autant de l’engeance actuelle qui se complait dans les néologismes pruritains, les euphémismes fourbes, le langage châtré et les acronymes artificieux. Ces Saint Jean bouche d’ordures disparaîtront, absorbés dans le vide de leurs périphrases insipides et dans le creux béant de leurs circonlocutions douteuses. Alors pourquoi s’énerver et ne pas les laisser à leur sort indubitable? Parce qu’en attendant, ils font du dégat. Leurs rondes jambes cachent des jambes de bois, leurs tournures dissimulent des entournures et leurs erreurs des horreurs. Le langage faux cul qu’on nous sort est l’expression du monde faux jeton qu’on nous sert. Et c’est ça qui fait mal.
Des exemples? Les gros, les joufflus, les obèses ont tous été sacrifiés sur l’autel de la langue de bois au profit des “biens portants”. C’est lâche. Idem pour les sourds comme un pot, qu’on a ravalé au rang de simples “mal-entendants”. Et que dire des aveugles, bigles, borgnes, tous condamnés à la mal-voyance. On n'en croit pas ses yeux ni ses oreilles. Imaginez “La mauvaise réputation” avec ces amputations langagières. C’est évident, il n’y a plus de chanson. Le manque de place nous oblige à faire court mais, de ce genre d’infamies, il y en a pour tout l’égout.
C’est le revers d’une époque trop soft, voire éxagérément molle dans laquelle les édulcorants
Les imbus de langage (ou le procès des mots mous)