...Putain de canon de pinard, de Ricard ou de Pernod, pauvre Renaud. Il ne marche plus qu'à l'ombre de lui-même, transparent comme l'eau de vie. Ce retour médiatisé avec trompette et tambour est un peu désolant et laisse un goût amer. Hélas, l'alcool est assassin et emporte avec lui le vers magistral et la voie chatoyante. Ça l'a quand même vachement bien ébréché ces années d'absence et d'absinthe.
Ce grand Monsieur nous avait habitué a tout autre chose, tant au point de vue de la mélodie, des paroles et de la voix (non, pas de la voix, mais si, un peu quand même).
A présent, il doit avoir l'âge de la mère a Titi, et c'est un peu comme chez elle: c'est le malheur, la misère et l'ennui, c'est la mort, c'est la mouise.
Mon pauvre ami, lui qui, avec d'autres, m'a tout appris. La dérision déridante et salvatrice, le plaisir des mots et de leurs jeux subtiles, l'absolue nécessité de la critique narquoise et l'amour des mélodies aux notes superbes...
Pour moi qui l'avais mis au pinacle avant qu'il se mette au pinard, c'est d'autant plus difficile d'écrire ces mots. C'est dur comme une météo d'avril. Mais on ne peut continuer à encenser quelqu'un qu'on a tant apprécié si toutes les raisons de le faire ont disparu. Vingt ans plus tôt, je suis sûr qu'il aurait été d'accord avec moi. Lui qui lançait effrontément en cherchant son flingue "J' déclare pas avec Aragon que l' poète a toujours raison". Et j'ajouterai, surtout si le poète ne l'est plus.
J'ai aussi un petit pressentiment désagréable. C'est qu'un jour d'antan, l'artiste a dû rencontrer la Muse Créative, celle qui permet à certains de vivre ou de survivre, de surmonter les épreuves, les ruptures, les chagrins. Alors, pour s'autodétruire comme il l'a fait ces derniers temps, je crains fort qu'il ait été abandonné par cette fée bienfaisante et qu'elle a cessé de lui venir en aide.
Je le plagie aussi dans son bistrot préféré:
il est bien plus vivant dans ma mémoire au moins
que dans son triste come-back contemporain.
Pour ceux qui le peuvent, écoutez "Toujours debout, toujours vivant", tout juste alors et dans quelle galère? Oui, moi je m'inquiète pour sa santé. Mister Renard a plus que jamais besoin du docteur Renaud. La voix sort d'outre-tombe, les gros mots sont terriblement gratuits, les rimes affreusement prévisibles et la musique à la dérive.
Essayez peut-être "J'ai embrassé un flic simplement parce qu'il avait l'air sympathique". Quel déconvenue. On se remettrait à boire pour moins que ça. D'ailleurs, il le reconnait lui-même: "j'aurai pas cru y a trente ans". Oui d'accord, mais c'est désolant tout comme la mélodie que la mémoire se refuse à retenir, et ça c'est un signe.
Et puis, je m'inquiète encore: arrive un attentat et les flics deviennent sympathiques. Attention, parce que c'est ça que cherchent aussi les affreux barbus. Quand une population commence à aimer sa police, on est pas très loin du changement de régime. Franchement, en vingt ans, les flics eux n'ont pas bu plus qu'à l'habitude. Ils sont toujours les mêmes. Alors, soit ils étaient déjà de chouettes types avant et tout ce qu'on a balancé sur eux n'était que mensonge et calomnie, soit, on se fourvoie sérieusement aujourd'hui.
N'oublions pas que ce sont ces mêmes flics qui, dans le même temps, répriment une manifestation de migrants dans la jungle de Calais en lançant des gaz lacrymogènes. A Paris, c'est encore eux qui dispersent les étudiants venus manifestés contre la loi travail à la Fnac de Tolbiac. Et ce n'est pas à coup de petites tapes dans le dos, c'est comme toujours armés de matraques, flashballs, lacrymos et menottes. Hé oui! Rien n'a vraiment changé.
En dernier ressort, je ne dirai pas écoutez mais lisez "Mon anniv". "Jamais pu blairer, jamais pu saquer les anniversaires. Chaque année un an de plus, un de plus". Voilà bien une banalité d'une platitude hors norme. C'est triste et je ne sais pas blairer ça non plus. Faut-il se réjouir du fait que le nombre d'anniversaires à venir va en diminuant?
On se demande parfois ce que ferait Coluche s'il devait revenir. Quel sketch nous jouerait-il? De quelle nature serait sa prestation?
Et la question se pose en termes simples. L'oubli n'est-il pas préférable à une réminiscence imbuvable? La discrétion assumée, ne vaut-elle pas mieux que le flop d'un acte de retour manqué. Enfin, ne faut-il pas choisir le repos éternel plutôt qu'une palingénésie catastrophique parce que déficiente? La fin du concert plutôt qu'un rappel consternant?
Ah ah! On touche là, à l'essentiel, à la vie et au Sens avec un grand "S" comme monsieur Séchan, Renaud.
Aux quatre interrogations qui précèdent, et pour conclure positivement, je dois à la vérité de dire qu'il nous offre aujourd'hui, dans l'état actuel des choses une réponse évidente, et péremptoire: c'est oui. Ainsi, quelque part, son retour n'est pas totalement inutile.
Mais on a tellement envie qu'il se retape et reprenne ses esprits notre ami Renaud qu'on doit lui laisser une seconde chance, un album de secours.Parce que: "si on est son pote, il faut tout lui pardonner, parce que demain, il peut crever. C'est la vie. Jamais on s'en r'mettrais et qu'est ce qui nous resterait comme ami?"
(1) En souvenir de Putain de camion, en hommage à Coluche.