Article à lire si vous n'avez vraiment rien d'autre à faire.
C'était pas mal non plus avant.
Or, si les destinées (hommes-objets) se ressemblent, on peut penser qu'elles sont l'aboutissement de conditions d'existence similaires, c'est-à-dire, utilitairement de plus en plus courtes. L'allongement de la durée de vie n'y change rien, au contraire; l'utilité de l'ordinateur ou du sac en plastique est inversement proportionnelle à leur biodégra-dabilité.
A partir de là, tout s'enchaîne. Et on aboutit à la conclusion objective suivante: en dehors d'une brève période d'efficacité et de rentabilité pure, les choses et les gens sont d'abord façonnés suivant les besoins et puis destinés au rebut. Cette affirmation qui a le mérite d'être claire et nette ne tourne pas autour du dépotoir. Primo, elle nous éclaire sur l'augmentation croissante du temps imparti à la R&D (Recherche & Développement) indispensable pour les choses et à la formation obligatoire pour les gens. Secundo, elle explique l'explosion des générations spontanées que sont les grands parcs (d'attractions, de distractions, de destructions), les crèches, les homes, les maisons d'accueil et d'arrêt, les Forems, bref, les décharges en tous genres. On rétorquera qu'il faut bien caser tout le monde. Oui mais doit-on rappeler que l'apparition des stalags qui jalonnent l'histoire humaine montre que c'est à l'extérieur de ceux-ci que quelque chose fout le camp.
Cependant, il existe une solution alternative. C'est l'euthanasie conditionnée. Elle fait son chemin, petit à petit, notamment chez Big Blue, le géant de l'informatique. Toujours à la pointe, IBM-Belgique proposait à 1.400 de ses fidèles employés de faire leur autocritique et de se porter démissionnaires. Des missionnaires d'un nouveau type si on se rappelle que Dieu avait aussi pour nom "Le Grand Ordinateur".
Li Monde, octobre 1992
Post Scriptum. Vous l'aurez deviné, cet article fut écrit à la suite d'une soirée abondamment arrosée de canettes jetables. A la relecture, je suis tout à fait d'accord avec vous, il est imbuvable. Mais comment pouvait-il en être autrement? Le sujet traçait lui-même l'objet de sa destinée: la grande poubelle contemporaine.
Un jour, peut-être, un sociologue mis en disponibilité ou à la retraite anticipée, posera ses lunettes rondes sur l'odieux qui préside au destin des objets et des hommes. Il pourrait être frappé par l'étrange similitude qui régit leur naissance, leur vie et leur disparition, au cours des âges, au gré des philosophies de l'époque.
Depuis belle lurette, l'archéologie a mis au grand jour les dernières volontés de nos aïeux, lesquels préféraient mourir plutôt que d'être inhumés sans une petite poterie, une pointe de lance, enfin un bibelot du quotidien qui leur était cher. Or, pour ma part, je n'ai encore rencontré personne qui demandait à être enterré avec son ordinateur ou son fer à repasser. C'est triste car cela traduit un manque d'affection profonde et une sérieuse perte de confiance dans les joujoux que nous fabriquons. Il est vrai que plus nos outils sont performants, plus vite ils sont obsolètes et bons à rien. Prenez une pelle. Quoi de plus simple et de plus éculé qu'une pelle? Oui, mais elle est toujours en activité. Tandis que l'IBM PC XX de l'avant dernier cri, il a déjà disparu. Or, puisque nous commandons à nos machines, il faut bien que nous les suivions. Il est donc tout à fait logique que l'hyper cadre de chez IBM-Belgique, se retrouve maintenant sur le listing d'un bureau de pointage, tandis que le jardinier du coin musarde encore au milieu de ses roses.
On croyait la mésaventure réservée au mineur et au bougnat. Erreur. Objets spécialisés et performants: objets en voie de disparitions et de dépassement; gens de la même veine, même déveine. On ne s'étonnera pas que le volume de nos dépotoirs ne cesse d'augmenter en parallèle avec celui des décharges humaines, que sont les instituts de chômages. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si dans les deux cas le remède apparent se nomme recyclage. Hélas, on sait que 15% seulement des déchets sont réutilisables.
Une fouille sommaire des tumulis du 2Oème siècle ne laisserait aucun doute: c'est la génération du prêt-à-jeter, du Kleenex à l'ordinateur, quoique l'incinération soit à la mode pour l'ordure ménagère, et je ne vise personne, tandis que Raymond Devos dirait: "vous sentez la relation hommes-objets?"