PARTOUT. Olfactivement, le mois de novembre est un mois très particulier. Dès les premiers jours, il fleure le chrysanthème et les fragrances tombales, les arômes mortuaires et le fond de cercueil.
Rien ne s'arrange dix jours plus tard, quand le onze du mois débarque, apportant ses réminiscences d'os à moelle grillé à la fleur de fusil, et rappelant le fumet des viandes faisandées au tombeau. Ce ne sont plus celles de quelques proches ensevelis çà et là, mais celles de la grande chasse à l'homme où des millions d'individus lointains tombèrent régimentés, victimes inutiles des champs d'horreur surnuméraires.
C'est alors qu'on prend à plein nez des effluves de flammes soldatesques ranimées lors de commémorations aux légions d'inconnus. C'est à ce moment que l'on replonge dans les senteurs des mémoriaux nécropolesques et des monstrueux ossuaires Douaumontois. Bref, c'est l'anniversaire de dix-huit. Le rappel au tocsin que l'humanité un jour a cessé de l'être. Qu'elle peut être pire que le lycanthrope le plus sanguinaire, pire que les dix plaies d'Egypte et pire que les sept trompettes de l'Apocalypse.
En termes de mots et de maux, la chair à canon nous vient de là. Cette chair en tranchées qu'on entretenait à coups de canons de 75, coups de rouge envoyés en renfort pour lui faire accepter et oublier ce qu'elle endurait. Millions de poilus qui ne se poilaient guère, et guerre qui ne finissait pas de pourrir. Onze novembre; jamais un anniversaire n'a été aussi lugubre alors qu'il commémore le terme de l'horreur. C'est dire si l'horreur a pu être dantesque, allant jusqu'à contaminer la célébration de sa fin.
Paradoxalement, la nature fait bien les choses et on imagine pas un onze novembre tombant un premier mai. Ça ne collerait pas du tout avec la l'histoire et la dramaturgie y perdrait beaucoup. Les cerisiers en fleurs, les fleurs en boutons, les oiseaux qui gazouillent au sortir de l'hiver sous un soleil généreux et dans l'éther bleu azur. Non. La météo de novembre avec son ciel plombé au fusil mitrailleur, ses nuages si bas qu'ils sombrent dans le canal, sa froideur cadavérique, voilà une météo qui convient parfaitement au devoir de mémoire glacial qui s'impose.
Il y a bien sûr tous ceux qui ont perdu la vie et puis tous les philosophes qui ont perdu l'espoir. L'espoir que l'humanité progressait et qu'elle allait toujours vers plus d'humanité. Que l'homme s'éloignait de la bête et qu'il n'y aurait pas de marche arrière. Triste topic.
C'est un chiffre très étrange "quatorze dix huit" et il restera sans doute comme la déconvenue majeure, celle de tous les siècles. Et la suivante me direz-vous? "Bien sûr, celle de l'an quarante ne pas tout à fait déçu, elle fut longue et massacrante et je ne crache pas dessus mais à mon sens elle ne vaut guère, guère plus qu'un premier accessit..." Car elle ne sera jamais la première. C'est en cela qu'elle pèche et nous laisse le sentiment désagréable de déjà vu.
Mais pour revenir à nos armes et à nos arômes, il faut être franc, honnête et reconnaître que l'odeur devient tout doucement pestilentielle. Pourquoi? Parce qu'il y a trop longtemps que ces morts font de vieux os, qu'ils manquent bougrement de fraîcheur et qu'il serait grand temps que la relève soit assurée.
Cela dit, il ne faut pas trop désespérer car on perçoit un peu partout des possibilités de renouveau, des fragrances nouvelles et rafraîchissantes. En Turquie, en Syrie, en Ukraine et jusque dans la Manche où avions et navires russes défilent joyeusement en répandant une saine odeur de soufre. Autre bonne nouvelle, en Russie justement, où il paraît que 50% de la population s'attend à une troisième rixe mondiale. Cela n'aurait rien d'étonnant; jamais deux sans le vieux cheval de Troie. Et avec le Trump de l'Apocalypse qui nous arrive en janvier, ALL IS POSSIBLE... comme nous l'écrivions à la une.
Tout espoir n'est donc pas perdu. Hélas, pour l'instant, Li Monde doit composer avec les émanations du moment. Elles ne sont pas très agréables car elles se conjuguent aux particules fines et toxiques, ainsi qu'à l'ozone ambiant et nocif. Mais à la rédaction nous restons philosophes et positifs en se disant qu'il vaut mieux en avoir plein le nez qu'ailleurs.
Et à part ça?... Rien. Novembre fut pisseux comme vache espagnole.