NDLR. Cet article parut fin 1992 se fait un peu l'écho de celui qui paraît en ce mois de décembre 2016 et qui est consacré à l'humanitaire. A moins que ce ne soit l'inverse, car un écho ne peut précéder la voix originale, le cri primordial.
Posez-vous la question, vous verrez qu'on ne vous a jamais consulté sur le sujet. Alors, comment peut-on faire entrer dans l'ordre du droit ce qui résulte d'une décision arbitraire, d'un coup de force patent? Telle est la question.
Or, un projet biaisé dans l'oeuf ne saurait accouché d'un phénix. Les gènes sont là comme une gène à tout développement perfectible. Tôt ou tard, les tares ressortent. Les petits défauts du départ prennent inévitablement leur grandeur nature à l'âge adulte. Ainsi, dans le cheval des Droits, on débarque avec ses gros sabots par ici, tandis que par là, non! En France, par exemple, patrie des Droits de l'Homme, on accueille un ayathola d'enfer en 1978 mais en 1992, Salman Rushdie y est interdit de séjour (on ne le dit pas assez). Enfin, dernière fourberie en date, cette exposition des plus belles photos sur la misère des peuples qui se tenait au sommet de l'Arche de la Défense. Exposition inaugurée par un somptueux buffet offert par la fondation des Droits de l'Homme. Une oeuvre de charité délectable où la misère universelle se voit sanctifiée par le champagne et le caviar.
Non! Tant qu'on jouera à papa et maman sans demander l'avis des futurs rejetons, on jonglera avec les droits des hommes et avec leurs pieds. Mais, sauf à ne plus en faire, peut-on imaginer qu'il en soit autrement, et est-ce bien souhaitable? Il est curieux de constater que l'Occident, qui se dénatalise, se soit tout à coup senti le devoir de protéger toute la race humaine et son existence par la force de l'artifice. Mais les réactions ne se font pas attendre, et contre cette main mise sur la vie, on en vient naturellement à revendiquer le droit de ne plus vivre
Li Monde, décembre 1992
Je vous le dis tout net, la litanie sempiternelle qu'on nous inflige in extenso sur "les Droits de l'Homme", ça commence à bien faire. Rien que l'expression nous abuse déjà. Si encore on nous parlait des droits des hommes. Mais non, il s'agit de l'Homme au singulier, avec une grande hache. Comme s'il n'y en avait qu'un. "Les Droits de l'Homme", "les Directives du Parti", "les Voies du Seigneur", tous les singuliers à majuscule me font un peu peur. Sans doute, est-ce parce qu'ils dissimulent assez mal leurs principes dogmatiques et leurs petites visées universalistes dans la mesure où nous savons à présent que Mars est une planète inhabitée.
Et puis parler de "l'Homme" ex abrupto, ça sous-entend qu'on l'a défini, qu'on a dit ce qu'il était ou ce qu'il devrait être. Pour Dieu, c'est facile: il est juste et bon et il devrait exister. Mais pour l'Homme qui existe, qu'en est-il? Qu'est-ce que l'Homme et ses droits? Et qui s'est arrogé le droit de les définir? Certainement pas les indiens d'Amérique qui peuvent tout au plus émettre des droits de réserve. Alors qui? C'est pas la femme d'Honoré, ni celle de Désiré, ni celle de Théophile, encore moins la femme de Nestor. Non, c'est la fameuse assemblée générale des Nations Unies de 1948.
Les amateurs liront avec délice les termes préambulesques et proclamatifs de la charte. Ils apprécieront les petits relents d'inquisition universelle. Ils y découvriront déjà tous les germes du Nouvel Ordre Mondial et les signes prémonitoires des grandes croisades qui hantent à nouveau cette fin de millénaire.
Mais au bout des trente articles de la charte on finit par s'interroger en se demandant: comment peut-on définir les Droits de l'Homme sans commencer par le commencement? Sans poser à l'intéressé la question primordiale et détermi- nante d'où découlent toutes les autres: "A-t-on le droit de naître?" ou si l'on préfère: "peut-on revendiquer le droit de venir au monde ou non?"