Petite réflexion impromptue sur le monde du sport en 1992, l'article ci-dessous témoigne après vingt-cinq ans que, non, non, non, rien n'a changé...
Seule ombre au tableau de ce grand cirque planétaire, les véritables amateurs déploreront, sans doute, les quelques concessions faites à la modernité; je pense, par exemple, au moteur à explosion qui a supplanté le cheval dans les courses de chars, ou encore le fleuret électronique, pâle réplique du glaive dans le combat des gladiateurs. Les puristes seront aussi déçu par la véracité de la mise en scène des cérémonies d'ouverture où des applaudissements authentiques résonnent comme autant de fausses notes lorsque les plus grands du bel canto s'époumonent en playback. Enfin qui ne regrettera la sincérité du geste de l'antique marathonien s'écroulant pour de bon sur la ligne d'arrivée?
Mais il faut bien comprendre que les temps ont changé et que le sport cérébral se raréfie. Toutefois la raison peut encore admettre que des gens ne consentent plus à s'égosiller ou à tomber mort pour 3 milliards et demi de désœuvrés affalés dans leur fauteuil sportif en sirotant un Ice Tea*.
*"Drink for winners": la boisson des gagnants.
Li Monde, juillet 1992
Au registre des grandes innovations produites par le petit écran, il en est une qui mérite une mention spéciale; il s'agit du fauteuil sportif. Vous me direz que l'invention n'est pas toute neuve. Certes, mais cette année elle fait un tabac. Il n'est qu'à voir les programmes qui nous tiennent en haleine depuis le premier janvier, c'est à vous couper le souffle. Coup sur coup, nous avons encaissé les olympiades d'hiver à Albertville, la coupe d'Europe de foot à Malmeu, les internationaux de tennis de Roland Garros, ceux de Wimbledon, le Tour de France, je passe sur les grands messes dominicales des habituels grands prix, et nous venons de sortir des joies olympiques de Barcelone. En tout, cela fait 7 mois et demi d'intenses compétitions, de confrontations musculaires où jarrets et gros bras inondent les ondes de sueurs chauvines; du pain béni pour la fabrique spectaculo-médiaticum et pour le sponsors en mal d'hommes sandwichs.
On se réjouira de cette symbiose entre le sport et l'entreprise qui conforte les valeurs essentielles de compétitivité, d'efforts et de dépassement de soi dans l'adversité, valeurs si chères à notre économie libérale, au défunt 3ème Reich et à la feue Rome ancienne si peu romantique. Valeurs qui feront aussi de belles jambes à notre jeunesse. Car il vaut mieux le sport que la narcose même si l'un n'empêche pas l'autre. Il est d'ailleurs stupéfiant de voir comme leurs ascensions vont de pair.