Suite au diagnostique établi, le commun des mortels se serait dit: on va trouer les murs, percer des fenêtres et mettre des belles vitres transparentes. Hé bien non. Pas du tout; la haute technicité germanique n'aurait pas supporter la simplicité d'une telle solution. On préféra donc poster des caméras vidéos sur le toit du bunker et retransmettre les images de l'extérieur dans les chambres obscures équipées d'écran. N'est-ce point merveilleux? Voilà le soleil médiatisé, l'air libre en Bétamax, la lumière via l'écran, la réalité par la fiction, enfin la vie en vidéo!
Seul petit problème, on ne sait pas encore si le remède est efficace. On ignore si l'image d'une chose (l'air, la rue...) peut effectivement se substituer à la chose. Il faut attendre, nous dit-on, les résultats de l'expérience en cours.
Je ne voudrais pas présager de ceux-ci mais s'ils s'avéraient positifs, il conviendrait sans doute de revoir notre infrastructure hospitalière et notre politique de soins de santé. Car si l'image du jour extérieur peu remplacer le jour, il n'y a aucune raison pour que l'image du malade ne remplace pas le malade lui-même et celle du médecin qui le soigne. Ainsi, tout patient correctement branché, pourrait rester chez lui dans sa véranda ou au jardin, histoire de profiter un peu des beaux jours ensoleillés qui passent inexorablement au dessus de nos têtes chercheuses bourrées d'imagination débridée.
Li Monde, novembre 1993
Bien que parue en 1993, cette "image du jour" est d'une étonnante actualité. Avec 24 ans d'avance,
elle anticipe la problématique contemporaine de la réalité augmentée et de sa virtualité. Accessoirement, elle jette sa petite pierre contributive à l'étude de la représentation par l'image en général.
On arrête pas de nous rappeler que nous vivons dans une civilisation de l'image. Et peut-être est-ce totalement vrai. Mais comme tout ce qui vise à la totalité finit par devenir totalitaire (l'économie, l'informatique, la rationalité, etc...), il n'est pas impossible qu'une société du tout à l'image devienne elle-même totalement imaginaire.
L'histoire bien réelle que voici est à verser au dossier de cette pathologie actuelle qui consiste à prendre l'image pour la réalité. Elle prouve aussi que la croyance en la magie n'est pas l'apanage exclusif des peuplades primitives. Elle montre enfin qu'en ces temps post-moderne l'absence d'un Charly Chaplin se fait cruellement sentir.
Cela se passe au pays du pragmatisme, dans un grand hôpital allemand, où des études très sérieuses ont montré que les malades privés de lumière du jour présentaient des troubles de l'orientation et des symptômes d'agressivité féroce. Car il y a la-bas des gens enfermés sans l'ombre d'un rayon naturel dans des chambres de béton dépourvues de fenêtres. On se dit déjà que le terme d'hôpital frise un peu l'usurpation et que celui de blockhaus conviendrait beaucoup mieux. Mais soit! La ligne Siegfried était aussi un atavisme d'outre-Rhin.
Heureusement, les études ne sont pas faites pour les bergers teutons mais bien pour les "Arzt und Doktors". Ces lumières ont donc tiré les enseignements nécessaires et ils ont décidé de remédier au problème. C'est ici qu'on appréciera la perspicacité technico-médicale dans toute sa splendeur.