Mes biens chers frères, en ces temps post-ascentionnels (l’Ascention et l’Assomption étant derrière nous) et pré-décadentiels (la Toussaint n’est que pour demain), nous profiterons d’un calme plat temporaire pour méditer une parole de Dieu. Aujourd’hui: “Ne jugez pas si vous ne voulez pas être jugé.” (Matthieu, chapître 7, verset 1).
Il va sans dire que Li Monde ne peut pas être d’accord avec cette proposition et que dès lors il entend bien la contester.
D'abord, que veut dire “ne juge pas si tu ne veux pas être jugé”? Cela signifie d’emblée et, in fine, qu’on ne souhaite pas être jugé. Mais, dans la mesure où on a rien a se reprocher, il n'y a pas de raison de redouter un jugement. Si vous respectez la limitation de vitesse vous n'avez rien à craindre du radar. Et vous avez le droit de vous offusquer du comportement des chauffards qui vous dépassent à 150 km/h. Vous pouvez aussi juger leur attitude incivique et dangereuse.
A bien y regarder, l’assertion est, plus pernicieuse que bienveillante. Si on la replace dans son contexte, elle sous-entend que nous sommes tous coupables de quelque chose: larcin, infidélité, péché originel, etc… et que, pour avoir la paix, mieux vaut se taire et laisser les autres tranquilles. Elle semble encore dire, sans l’avouer, que nous serions tous semblables. Or, il est évident que ce n’est pas le cas et la parole de Dieu néglige une donnée essentielle qui caractérise les hommes, c’est la différence, notamment en matière de comportements.
Et puis, même en supposant que nous ayons quelque chose à nous reprocher, ce qui n’est pas forcément vrai, en abandonnant toute forme de jugement, c'est le politicien véreux, l’escroc et le dictateur, donc les plus vils qui sortiraient grands bénéficiaires de la situation. Mais au royaume des hommes, il n’y a pas de démocratie sans jugement (1). Alors, plutôt que de ne juger personne, il serait sans doute plus équitable de juger tout le monde et la vérité mettrait au jour les justes et les injustes, ou à défaut, les moins injustes et les plus injustes, ce qui serait bien nécessaire aujourd’hui.
NDLR. Cet article résulte de remarques formulées par certains lecteurs qui reprochent à Li Monde sa foison de critiques et de “juger” comme si cela relevait d’une ignominie ou d’un crime de lèse majesté (mais que sont donc les reproches sinon des jugements.?). Si tel était le cas, tous les canards satiriques et toutes les critiques du monde ne seraient qu’abjections condamnables et deviendraient impossibles. Méfions-nous de leur absence qui traduit souvent un déni d'intérêt et où tels des Ponce Pilate, nous nous laverions les mains de tout.! Faut-il rappeler que vivre c'est aussi juger par les choix qui sont faits.? Vous commencerez par considérer que telle école ne convient pas pour votre enfant mais l'autre oui. Vous voterez à gauche ou à droite en fonction de votre opinion ou de votre porte-feuilles, ce qui fera apparaître le verdict des urnes. Vous mangerez bio parce que vous le pensez meilleur. Vous aurez des amis qui sont ceux-là que vous estimez préférables à d'autres, etc… Et donc, mince alors, tout le monde juge.! Dès lors, si problème il y a, il ne vient pas du jugement lui-même mais de son énonciation et de son affirmation. Là, on se retrouve dans l’éternel débat de la liberté d’expression. Hélas, et même s’il n’a jamais dit ou écrit la fameuse citation apocryphe: “Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire”, Voltaire nous manque terriblement.
Rappelons encore que discernement, sagesse et jugement sont des synonymes de la langue française.
Pour conclure, souvenons-nous que Dieu était aussi le précurseur des faux jetons dont la maxime est “faites ce que je dis mais pas ce que je fais”. Car enfin, Jésus n’a-t-il pas jugé les marchands du Temple et condamné sévèrement leur comportement sans même l’ombre d’un procès.? Dans ce cas et puisqu’il s’est fait homme, je peux aussi m’autoriser à son égard une saine critique. Vingt dieux.!
(1) François Mazon: "Il n'y a pas de démocratie sans état de droit.” Or, le droit consiste à rendre la justice et donc à juger.